Un état des lieux de l’Agilité (3/4) : Coach Agile ou Don Quichotte ?

Un état des lieux de l’Agilité (3/4) : Coach Agile ou Don Quichotte ?

Auteur : François Rivard - Date de publication : février 13, 2019

Le petit monde de l’agilité en France semble en pleine introspection. L’une des questions qui semble tarauder la communauté porte sur le fait d’internaliser ou non les compétences.

Un Product Owner peut-il être externe ? Nous en sommes convaincus, après tout on externalise massivement les Maîtrises d’Ouvrage. Surtout sur les produits digitaux, qui peuvent exiger une expertise peaufinée dans ces sociétés spécialisées dans la question.

Un Coach Agile peut-il être interne (là ça fonctionne dans l’autre sens) ? C’est une idée qui fait son chemin. Encore faut-il se mettre d’accord sur la définition de « Coach ». Pour certains c’est un mentor, qui transmet son expertise et s’appuie sur son expérience pour accélérer la montée en compétences d’un groupe vers les pratiques agiles.

Pour d’autres, c’est quelqu’un qui doit aussi se montrer capable d’animer les dynamiques individuelles / collectives et transcender le fonctionnement de ce groupe, voire de l’entreprise dans son ensemble. Cette deuxième définition est venue des intéressé.e.s eux-mêmes, qui voyaient dans leur rôle une façon de renouveler le travail.

On voit bien d’où vient le danger. Livré à lui-même, convaincu qu’il ne doit pas céder au syndrome de l’imposteur (alors que bon, on en trouve qui s’improvisent experts en neurosciences sur LinkedIn du jour au lendemain…), rarement supervisé comme un vrai coach doit l’être, l’auto-désigné coach agile, avant tout dépositaire d’un bon savoir-faire de chef de projet, peut devenir un terroriste intellectuel dans les entreprises où il sévit. Et peut-être davantage s’il est externe.

On s’explique. Le mieux est encore de s’appuyer sur une anecdote et de vous parler d’un coach avec lequel nous avons travaillé par le passé. Après quelques années en ESN, il s’était mis en freelance, croisant la route d’entreprises comme la nôtre. Nous lui avons confié un rôle à la hauteur de ses ambitions : coach agile sur une mission de conduite du changement. Le client est une compagnie d’assurances, elle réécrit ses processus métier en back-office, ses collaborateurs apprennent la polyvalence, les managers doivent déléguer davantage, chouette : voilà une parfaite mission pour un agiliste.

Premières semaines de mission, notre coach respecte le cadre qui lui est confié, il étale toute la palette de son savoir-faire (le côté « mentoring ») : il colore le quotidien de son client de jeux d’innovation et de management visuel, déclenche des réflexes collaboratifs, professe par petites touches l’aplatissement des rapports hiérarchiques, et ça se passe plutôt bien.

Au début.

Puis, en observateur consciencieux des limites humaines (le côté « coach » certainement), il élève son niveau de transcendance et se lance dans sa croisade : il va casser les codes, ça va « hacker » dans tous les coins, il va « faire la diff », après tout n’est-il pas « coach » ? Bien sûr, il n’en parle pas, il garde ça pour lui, c’est une mission qu’il s’est auto-confiée. On va voir ce qu’on va voir.

Et on voit.

C’est un carnage.

En plein comité de direction, il se lance bille en tête dans un réquisitoire, certes courageux mais déplacé, contre ses commanditaires médusés :

« Vous savez quoi ? Vous devriez arrêter vos barbecues, là, le week-end, avec vos équipes. C’est sympa mais ça sent le copinage, ça jase. Ceux qui ne viennent pas se sentent exclus. »

Oui mais voilà, c’est une entreprise familiale, elle s’est construite sur le vivre ensemble, y compris hors des horaires de bureau, et ceux qui ne viennent pas sont libres de ne pas venir s’ils ne le sentent pas. Alors bien sûr cela peut créer des déséquilibres, mais c’est un des piliers culturels sur lesquels l’organisation s’est construite.

Quand un coach agile, qui prône le bien-être au travail, en arrive à penser qu’un barbecue d’équipe est une mauvaise idée, s’installe comme l’idée diffuse d’un léger malaise. Et les malaises on n’aime pas trop ça en entreprise, et encore moins quand c’est un externe qui vous met en face de vos pseudo-responsabilités. Après tout, qui décide ?

La mission s’est donc arrêtée définitivement pour notre coach et pour nous ce jour-là. Toute notre équipe a été envoyée ad patres et le client définitivement perdu.

Notre coach cochait pourtant toutes les cases : le diplôme, l’expérience, la supervision, l’écoute, une empathie non dénuée d’un certain sens critique, tout ! On jouait sur du velours.

Mais voilà, il s’est attaqué inconsidérément au pilier de l’organisation : sa culture. La culture, c’est solide. Ça « mange de tout au petit déjeuner ». Ca subsiste même quand les fondateurs s’évaporent. Elle institutionnalise une organisation. Pensez à SalesForce, Amazon ou des grands clubs de sport et vous saurez de quoi je parle. On aime ou on n’aime pas une entreprise à cause de sa culture.

Attaquer la culture, cela peut être mal interprété. Cela est d’autant plus choquant qu’un coach a un accès constant aux opérationnels : en prétendant bonifier le travail, donner du sens, réveiller les consciences, il fait en réalité… de la politique. Et se retrouve taxé de subversion.

Critiquer le fonctionnement de l’organisation et en proposer un autre, c’est courageux, mais il y a là un côté Don Quichotte, ou même Gavroche sur sa barricade. Et on sait comment ça finit.

Résumons : nous avons besoin de coaches qui respectent les organisations où ils mettent les pieds, qui ont la subtilité d’en comprendre les rouages, qui ne défient pas la culture sans un minimum de bon sens. Ce sont des notions extrêmement délicates à assimiler, il faut du vécu et de la finesse, ce n’est pas donné à tout le monde. Oubliez ceux qui se présentent comme des bienfaiteurs du travail ou des agitateurs d’entreprise. Pour ceux-là, le programme est clairement affiché, vous ne pourrez pas prétendre que vous n’avez pas été prévenus. Ils vont jusqu’à remettre en cause les managers, et parfois le travail lui-même !

Nous avons besoin de coaches qui s’inscrivent dans un cadre, et qui sauront combiner débat et respect. Et puisque les coaches qui se présentent sur le marché sont loin d’avoir tous un vécu significatif, les internaliser est encore le meilleur moyen de les faire baigner dans la culture de l’organisation sans qu’ils s’amusent à lui manquer de respect. Le corporate hacking, ça fonctionne mieux quand on a un vrai pied, reconnu et légitime, dans l’organisation.

Le coach externe reste évidemment une solution mais on va d’abord attendre de lui qu’il amène de l’expertise, pas forcément qu’il s’improvise mercenaire du changement. Au final, une équipe mixte, composée d’internes et d’externes, restera, comme bien souvent, le casting le plus équilibré.